back-arrow 21 septembre 2025

L’art de la réintégration 3.0 : Guide pour les RH

Conformément à l’accord de gouvernement, dès le début de l’année à venir, de nouvelles règles devraient réformer en profondeur la réintégration des travailleurs en incapacité de travail. Directrice générale du service externe de prévention et de protection au travail Cohezio, Evelyne Kerger, elle-même médecin du travail, évoque les enjeux de ces nouvelles règles pour les départements RH et livre une série de conseils pour leur mise en œuvre.

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L’objectif de cette réforme ? « Responsabiliser les différents acteurs qui interviennent dans le processus de réintégration des personnes en incapacité de travail de longue durée, confie Evelyne Kerger. À savoir le travailleur lui-même et l’employeur, mais aussi les différents médecins impliqués — le médecin traitant ou spécialiste, le médecin du travail, le médecin-conseil de la mutuelle. L’ambition est double : accélérer le retour au travail des personnes éloignées de leur emploi pendant une longue période et réduire les coûts associés pour la Sécurité sociale. »

 

Aujourd’hui, si le travailleur est convoqué pour un examen de réintégration ou d’inaptitude définitive pouvant mener à un licenciement et s’il ne vient pas, il faut attendre 15 jours pour le convoquer à nouveau. « Si, à nouveau, il ne se présente pas, il faut attendre encore 15 jours, explique-t-elle. Et s’il ne vient pas à la troisième convocation, il ne se passe juste rien du tout ! La personne reste dans le statut dans lequel elle se trouvait, en incapacité de travail, avec suivi ou pas du médecin-conseil de la mutuelle. Responsabiliser, c’est faire passer le message que le travailleur a des droits, mais aussi des devoirs. »

 

Ainsi, le nouveau projet de réintégration vient rendre le processus un peu plus cadenassé. « L’idée n’est pas de faire la chasse aux personnes en incapacité de travail, précise-t-elle. . Il s’agit plutôt de les aider à ne pas entrer dans la spirale de l’absence de longue durée, qui, plus elle s’étale dans le temps, plus elle rend le retour au travail complexe. C’est bien pour cette raison qu’il est important de répondre à la convocation. Le médecin du travail est neutre et indépendant, au sens qu’il n’est à la solde ni du travailleur, ni de l’employeur. Il ne faut pas que les gens aient peur de venir. Du côté de l’employeur, il faut reconnaître la difficulté de réintégrer une personne absente depuis longtemps. Les façons de travailler ont changé, les collègues ont changé, le matériel utilisé a changé, les projets ont changé, etc. On n’imagine pas que, du jour au lendemain, la personne rejoigne son poste et reprenne son travail là où elle l’avait laissé. Mais, dépendamment de la taille de l’entreprise et de son contexte, il est certainement possible d’être plus imaginatif qu’on ne l’est aujourd’hui. Responsabiliser l’employeur, c’est l’encourager à ne pas attendre dix ans pour agir et prendre des initiatives pour éviter que la personne n’entre dans un cercle vicieux qui l’écartera de l’emploi. »

De nouvelles obligations

Aujourd’hui, le conseiller en prévention-médecin du travail ou les infirmiers qui l’assistent contactent le travailleur à partir de quatre semaines d’incapacité de travail pour l’informer des différentes possibilités de faciliter son retour au travail. « Avec la réforme, il va falloir évaluer de façon plus précoce sa situation, explique-t-elle. Le nouveau projet de loi prévoit ainsi que, en plus, que dès huit semaines d’absence, il y ait une évaluation quant à savoir si un retour au travail progressif est possible. Les employeurs pourront en outre initier un trajet de réintégration dès le premier jour d’incapacité, avec l’accord du travailleur. Avant, ce n’était possible qu’après trois mois. » Autre nouveauté : une cotisation de solidarité de 30 % sera à verser par l’employeur sur l’indemnité de maladie et d’invalidité des salariés absents pendant deux mois suivant la période de salaire garanti. « L’objectif est d’inciter les employeurs à réintégrer plus rapidement les personnes en incapacité de travailler », dit-elle. Enfin, la durée d’incapacité ininterrompue nécessaire pour lancer la procédure de résiliation du contrat pour force majeure médicale sera réduite de neuf à six mois.

Impact pour les RH

Ce nouveau trajet de réintégration va nécessiter au sein des services RH de structurer une politique en la matière, souligne Evelyne Kerger. « Il est aussi conseillé de faire preuve de proactivité et d’évaluer les possibilités d’adaptation du travail au cas où les travailleurs se retrouvent en incapacité de longue durée. Il doit s’agir d’une démarche dynamique. Prenez le cas d’une infirmière à l’hôpital qui serait en incapacité de travail de longue durée pour un problème d’ordre physique. Elle ne peut plus manutentionner des patients, mais peut-être peut-elle reprendre de façon temporaire ou durable des tâches administratives d’une autre infirmière, pour lui permettre d’être affectée à d’autres missions. Un audit gagne à être mené au sein de l’entreprise sur les deux, trois ou cinq dernières années, sur la base des recommandations reçues, et envisager des options possibles en concertation avec le service externe pour la prévention et la protection au travail, le médecin du travail, voire les managers eux-mêmes. » Autre impact pour les RH : « La réforme va augmenter la charge administrative, au vu des délais assez stricts prévus dans les trajets de réintégration. Ce qui exige une coordination étroites entre les différents acteurs impliqués. »

Des tensions potentielles

« Des mesures devenant plus strictes vont immanquablement s’accompagner d’une crainte du contrôle, de la stigmatisation ou de la pression en vue d’un retour prématuré au travail, relève Evelyne Kerger. Il y a risque d’une détérioration de la confiance si la communication et le dialogue ne sont pas bien gérés avec les travailleurs et avec leurs représentants. Des tensions sociales pourraient subvenir dans des secteurs à forte pénibilité — comme les soins de santé, l’industrie ou la construction — ou en pénurie de personnel. »

Des opportunités de transformation

« La réforme comporte de nouvelles obligations, mais aussi des opportunités, dont celle de mettre en place une culture d’entreprise plus inclusive, de repenser la qualité de vie au travail et la prévention des risques psychosociaux ou encore de valoriser une gestion plus proactive de la santé au travail. Si elle est bien menée, la façon dont on accompagne un retour au travail après une absence de longue durée — un peu comme l’onboarding qui s’en rapproche — est de nature à nourrir l’image de l’employeur et contribuer à la fidélisation du personnel. »

Un plan d’action en six étapes

Pour anticiper la nouvelle réglementation, Evelyne Kerger suggère six actions :

 

  1. Diagnostiquer lexistant : prendre une photo des absences de longue durée sur les trois dernières année, des processus RH déjà en place et des postes adaptables.
  2. Mettre en place une procédure de réintégration structurée, conforme aux obligations légales : évaluation après huit semaines d’absence, entretien tripartite (travailleur, RH, médecin du travail), template pour élaborer un plan de réintégration personnalisé (horaire, tâches, rythme de travail, cadences, etc.), suivi régulier tous les 15 jours, par exemple, pendant les x premiers mois après le retour, etc.
  3. Former les RH, les managers et les représentants du personnel pour les préparer à la réforme, à mener un entretien de retour au travail, à mener le re-onboarding, à gérer des situations sensibles.
  4. Renforcer le dialogue social en associant les partenaires sociaux : présenter le plan de réintégration au CPPT (et, éventuellement, au conseil d’entreprise), co-construire certaines mesures comme une charte d’engagement mutuel pour l’employeur et le salarié ou un programme de sensibilisation à la santé mentale.
  5. Investir dans la prévention en matière de santé et la qualité de vie au travail avec l’objectif de réduire le nombre de personnes en incapacité de travail de longue durée : des programmes de prévention du stress et du burn-out, des bilans de santé, des actions ciblées dans certains secteurs à risque, une cellule offrant du soutien psychologique…
  6. Suivre et évaluer les résultats pour ajuster la stratégie : taux de retour au travail après trois, six et douze mois ; comparatif avec les années précédentes ; suivi des rechutes ; questionnaire sur la satisfaction des personnes qui ont été réintégrées, etc.

Un point d'attention

« C’est très bien de vouloir remettre les gens au travail, mais il est plus intéressant encore d’essayer qu’ils ne tombent pas malades, conclut-elle. Évidemment, on ne pourra agir sur toutes les maladies, ni prévenir tous les accidents. Développer une implication plus forte dans la prévention primaire permettra de réduire les risques d’absentéisme. C’est d’autant plus important que les maladies de longue durée pèsent sur les employeurs qui peinent à recruter les compétences dont ils ont besoin et mobilisent des ressources dans les soins de santé qui, malheureusement aujourd’hui, sont en pénurie. Sans parler des coûts pour la collectivité. Il y a donc toutes les bonnes raisons pour agir ! »